Les mains dans les poches. [Alicia]

Journée ensoleillée, panique dans tout le pays, et Jenna qui s'ennuie. Chez elle, rien à faire, les adultes étaient trop occupés entre eux pour s'apercevoir que la petite dernière était en manque profond d'affection. Enfin, d'affection, surtout d'occupation... Les poupées, ça va cinq minutes. En fait, elle aurait voulu un chien pour lui raconter à quel point c'était fatiguant d'être toujours la dernière de la famille, que tout le monde surveille et que personne ne laisse vivre. Mais là, c'était le contraire, tout le monde l'ignorait, sa mère lui avait dit "va jouer dehors", parce que Monsieur le Maire (=papa) avait du travail, que les frères étaient là, et qu'il y avait trop de choses importantes à voir. Bah, qu'est ce qu'ils y changeraient, à tout ça ? Tout le monde racontait des choses du genre "attaques terroristes, coup d'état, etc". Et puis même si tout ça était vrai, qu'est ce qu'on pourrait y changer ? Les adultes, avec leur vision complètement décalée... Ils racontaient n'importe quoi.

Pas de copines de libre cet aprèm. Pas d'école non plus. Tout le monde chez soi, à attendre la fin du monde. Mais pourtant, il faisait beau ! Superbeau, même. Ca va, elle avait réussi à extirper cinq dollars à sa mère. C'était fou, ça. Quoi qu'elle demande, on lui donnait. Il lui suffisait de regarder la personne dans les yeux et de le vouloir vraiment. Ca, c'était surtout depuis les explosions. Avant, ça le faisais aussi, mais moins. En fait, ça ne marchait pas toujours, alors que là, c'était banco à tous les coups. Tant mieux.

Jenna avança au milieu de la place publique, se demandant quoi faire. En fait, être seul, ça n'était pas marrant. Il aurait fallut qu'il y ait, j'en sais rien, un copain. Pour qu'ils puissent courir après les pigeons, pleurer pour qu'une vieille leur paie une glace (ça marchait toujours, ce coup là), chanter dans la rue, et refaire le coup des pleurs à quelqu'un d'autre, une fois la première glace terminée. Comme ça, elle pourrait s'acheter autre chose, avec les 5$ de sa mère. Mais bon, elle était toute seule et ça n'était pas drôle, le coup des larmes, quand on était seul. C'était surtout pathétique, en fait. Mais bon, comme elle obtenait tout ce qu'elle voulait, elle pourrait toujours essayer. Juste pour voir, une sorte de test, quoi. Pour voir si ça marchait réellement avec tout le monde ou seulement avec sa famille.

Elle avait les mains dans les poches, triturant son billet froissé machinalement. Ca n'était peut-être pas grand chose, mais de l'argent, elle n'en avait presque jamais sur elle, d'habitude. Et c'est là qu'elle repera la cible parfaite. Elle s'avança vers la personne visée, un sourire triste aux lèvres et les yeux suppliants. On allait voir ce qu'on allait voir. Elle allait jouer le grand jeu. Ou alors non, elle allait rester naturelle. Ah, elle n'en savait plus rien, elle n'aurait qu'à improviser, de toute façon… Et puis, c’était un test. Alors, ça n’était pas très grave si ça ne fonctionnait pas, c’était juste histoire de voir. Ca allait être marrant, finalement, même s’il n’y aurait personne avec elle.

Place Publique ... Tu parles, pas un rat dehors. Mais où était donc passé ce Tobey ? Alicia tremblait, comme à chaque fois qu'elle se sentait dans l'incapacité de comprendre ou de faire quelque chose. Il fallait qu'elle le retrouve, lui seul pourrait l'aider comme il l'avait déjà fait il y avait de ca quelques jours lors de l'explosion. Quel stress inutile ! Si seulement elle avait pu parler à quelqu'un pour demander OU ce trouvait la maison du garagiste. Mais les gens semblaient décidés à rester cloîtrés chez eux comme pour se protéger d'une menace encore présente ... Il faut dire qu'Alicia n'était pas très rassurée non plus de sortir alors qu'il était maintenant de notoriété publique que l'air était radioactif mais que faire d'autre ? Elle ne pouvait pas rester dans sa chambre d'Hôtel à l'infini ? Et temps que Tobey n'aurait pas réparer la voiture il ne fallait pas espérer rentrer à New York. Et puis Tobby, son labrador, avait aussi besoin de sa promenade pour lever la patte ... Alors Ali décida de cumuler les deux choses en même temps pour que sa sortie à l'air contaminé soit rapide et efficace : promenade du chien + recherche de Tobey.

Pourquoi vouloir absolument trouver cet homme ? Parce qu'elle avait besoin de savoir si lui aussi avait quelque chose de bizarre depuis l'explosion ... Ce n'était pas normal, la veille elle s'était rendue compte qu'elle traversait les objets sans le vouloir. La panique de cette découverte avait laissé place à une angoisse récurrente accompagnée de toute sorte de questions existentielles. " Suis-je un monstre ? ", " Que m'arrive-t-il ? ", " Est-ce que je vais guérir ? ", " Pourquoi ? ", " Comment ? " ... Ali ne supportait pas de ne pas avoir de réponse, elle était trop maniaque pour supporter de ne pas savoir, il lui fallait des réponses et même si Tobey ne trouvait rien à lui répondre, au moins ils seraient dans l'incertitude à deux ...

Tobby tirait sur sa laisse, lui semblait ne pas avoir été affecté par l'explosion, parfois Ali le regardait sous tous les angles mais rien ne clochait. Toujours aussi baveux, toujours aussi foufou et affectif.
Soudain, du coin de l'oeil, Alicia vit quelqu'un bouger. Elle surtout et étouffa un cri de surprise. C'est qu'elle ne s'était pas attendue à voir quelqu'un dehors alors que tout le monde se cachait. Il s'agissait d'une petite fille à la mine déconfite, que lui voulait-elle ? En plus elle se rapprochait. Ali se figea alors que Tobby tirait sur la laisse pour continuer la promenade. Elle regarda la gamine se rapprocher et fut prise d'une sorte d'élan de compassion pour elle ... Mais que lui arrivait-il, ca ne lui ressemblait pas ...

- Bah alors ? T’es perdue ?

Les mots sortir tous seuls, Ali ne se reconnaissait pas dans cette question gaga. Généralement elle considérait les enfants comme parfaitement capable de comprendre un phrasé correct et non une suite de mots niais comme les utilisent les parents pour s’adresser à leurs babins.
Alors pourquoi parlait-elle comme une idiote maintenant ? C’était bizarre ça, c’était comme si elle ne choisissait pas de dire ce qu’elle disait …

A peine s’était-elle retrouvée plantée devant la jeune femme choisie que celle-ci lui adressa une phrase pleine de compassion, niaiseuse et inappropriée. Oui, c’était ainsi que Jenna voyait les choses, pourquoi serait-elle perdue, on était en milieu d’après-midi, l’école était momentanément fermée et même si la place était quasi déserte, eh bien, ça n’était pas une raison. En plus, se perdre dans une petite ville comme Jericho, soit il fallait être nouveau soit pas très doué. Mais à la réflexion, elle attendait une réponse comme celle là, et elle en souhaitait une même ; au moins c’était presque gagné si elle avait gagné sa compassion. Maintenant, deux solutions s’offraient à elle. Soit pleurer comme d’habitude, faire le coup classique, mais ça ne serait pas vraiment drôle ni d’une quelconque utilité puisque ça ne lui apporterait rien sauf une glace, soit lui demander naturellement, histoire de vérifier si sa théorie se vérifiait. Théorie qui, rapidement, consistait à tout avoir sans effort, juste à demander. Seulement, il fallait quand même se montrer un minimum persuasif, non ? Car sinon, ça ne marcherait peut-être pas.

Jenna plongea donc ses yeux dans ceux de sa « victime », et répondit d’une voix douce

« Non pas vraiment, mais j’ai pas école, et maman m’a mise dehors… J’ai pas un dollar, tu veux bien me payer une glace ? S’il te plait. »

Ca n’était pas la stricte vérité, ça n’était pas strictement faux non plus, en fait ça n’était qu’un mélange de tout ça. Sa mère l’avait mise dehors, mais gentiment, pour ne pas qu’elle soit ennuyée par ces histoires d’adultes, elle n’avait pas école à cause des radiations, et des dollars, elle en avait cinq. Mais cette fille n’avait pas le pouvoir de déceler la vérité, n’est ce pas ? Et puis, Jenna était doué pour mentir, la preuve, c’était qu’elle avait un air embêté, parce que quand même, c’était gênant de demander l’aumône aux inconnus, non ? Non, bien sur. Rien n’était gênant pour cette petite, en fait. Mais il fallait toujours faire comme si. « Faire comme si. » Elle avait toujours appliqué cette règle avec bienveillance au cours de sa vie, et ça avait toujours porté ses fruits. En d’autres termes, il fallait jouer la comédie et faire l’hypocrite, eh bien, qu’importe tant que ça puisse lui apporter ce qu’elle désirait. Tout en gardant une apparence de petite fille adorable, bien entendu, sinon elle perdrait tout son crédit…

Elle n’était pas au courant pour son pouvoir, et d’un côté tant mieux car sinon elle aurait profité de la jeune femme devant elle, lui demandant tout ce qu’il était possible de demander, dans la mesure du raisonnable, car si elle était intéressée, elle n’en restait pas moins une enfant de cet pleine de raison. Mais en y repensant, si elle disait oui, ça n’avait rien d’extraordinaire, en fait, c’était même logique, n’importe qui aurait dit d’accord. Il faudrait qu’elle trouve autre chose, après, histoire de tester une nouvelle fois. De toute façon, elle n'avait rien de mieux à faire.

Une glace ? ... Alicia garda le silence devant la frimousse déconfite de cette gamine aux grands yeux d'ange. Pauvre petit, toute seule dehors en des temps si troubles, mais où ses parents avaient-ils la tête pour la laisser traîner dans les rues avec un air polluer et une panique ambiante loin d'être apaisée ?
Une contraction dans l'estomac précéda sa réponse bien avant qu'Ali n'ait analysé ce qui se passait dans son propre corps, encore une fois les mots sortir d'eux-mêmes avec ce ton ridiculement niais.

- Mais bien sûr ! Aller vient !

De la compassion ... Erf, on lui avait appris à ne pas trop en avoir à l'école de journalisme pourtant, bizarre tout ça. Et voilà que ses jambes la menaient d'elles-mêmes jusqu'à la terrasse déserte du marchant de glaces de la place.
Ali tâta son jean, un volume assez conséquent prouvait la présence d'une certaine somme en liquide dans sa poche droite. Une chance qu'elle eut prévu de faire un reportage à Denver avant la bombe et que - par conséquent - elle s'était armée de quoi payer les frais sinon elle se serait retrouvée seule à Jéricho et sans argent.

Elle mit cet élan de générosité sur le compte de la solitude pour ne pas avoir à se poser les questions du genre " mais pourquoi je dis oui moi ? ". Une présence, même enfantine, la réconfortait quelque part, et puis une bonne glace la décrisperait peut-être un peu et calmerait les noeuds d'angoisse dans son estomac. Il fallait qu'elle gère son stress pour une fois ...

Arrivée à quelques pas du vendeur de glaces et de sa terrasse vide, offerte au soleil incertain, Ali se tourna vers la petite fille et usa de son sourire le plus radieux pour lui demander le parfum qu'elle désirait pour sa glace.

- Vanille ? Chocolat ? Combien de boules ?

Le gérant parut surpris de voir encore des âmes vivantes errer dans la ville alors que le calme oppressant de l'après bombe les entourait d'un silence des plus épais.

» La frimousse dans le vent [PV Jenna]
» Arrive dans la ville [ Libre ]